Napoléon Bonaparte : Lettres de Napoléon à JoséphineLettres de Napoléon à Joséphine ~~~~
I. L'AMANT
Paris, le 6 brumaire an IV
Je ne conçois pas ce qui a pu donner lieu à votre lettre. Je vous prie de me faire le plaisir de croire que personne ne désire autant votre amitié que moi, et n'est plus prêt que moi à faire quelque chose qui puisse le prouver. Si mes occupations me l'avaient permis, je serais venu moi-même porter ma lettre.
7 heures du matin
Je me réveille plein de toi. Ton portrais et le souvenir de l'énivrante soirée d'hiers n'ont point laissé de repos à mes sens. Douce et incomparable Joséphine, quelle effet bizzare faite vous sur mon coeur ! Vous fâchez-vous ? Vous vois-je triste ? Êtes-vous inquiète ? mon âme est brisé de douleur, et il n'est point de repos pour votre ami... Mais en est-il donc davantage pour moi, lorsque, me livrant au sentiment profond qui me maîtrise, je puise sur vos lèvres, sur votre coeur, une flame qui me brûle. Ah ! c'est cette nuit que je me suis bien aperçu que votre portrait n'est pas vous ! Tu pars à midi, je te verai dans 3 heures. En attendant, mio dolce amor, reçois un millier de baisé ; mais ne m'en donne pas, car il brûle mon sang.
Chanceaux, le 24 ventôse, en route pour l'armée d'Italie
Je t'ai écrit de Châtillon, et je t'ai envoyé une procuration pour que tu touches différentes sommes qui me reviennent... Chaque instant m'éloigne de toi, adorable amie, et à chaque instant je trouve moins de force pour supporter d'être éloigné de toi.
Tu es l'objet perpétuel de ma pensée ; mon imagination s'épuise à chercher ce que tu fais. Si je te vois triste, mon coeur se déchire et ma douleur s'accroît ; si tu es gaie, folâtre avec tes amis, je te reproche d'avoir bientôt oublié la douloureuse séparation de trois jours ; tu es alors légère et, dès lors, tu n'es affectée par aucun sentiment profond.
Comme tu vois, je ne suis pas facile à me contenter ; mais, ma bonne amie, c'est bien autre chose si je crains que ta santé soit altérée ou que tu aies des raisons d'être chagrine que je ne puis deviner ; alors je regrette la vitesse avec laquelle on m'éloigne de mon coeur. Je sens vraiment que ta bonté naturelle n'existe plus pour moi, et que ce n'est que tout assuré qu'il ne t'arrive rien de fâcheux que je puis être content. Si l'on me fait la question si j'ai bien dormi, je sens qu'avant de répondre j'aurais besoin de recevoir un courrier qui m'assurât que tu as bien reposé. Les maladies, la fureur des hommes ne m'affectent que par l'idée qu'elles peuvent te frapper, ma bonne amie.
Que mon génie, qui m'a toujours garanti au milieu des plus grands dangers, t'environne, te couvre, et je me livre découvert. Ah ! ne sois pas gaie, mais un peu mélancolique, et surtout que ton âme soit exempte de chagrin, comme ton beau corps de maladie : tu sais ce que dit là-dessus notre bon Ossian.
Écris-moi, ma tendre amie, et bien longuement, et reçois les mille et un baisers de l'amour le plus tendre et le plus vrai.
Nice, le 10 germinal
Je n'ai pas passé un jour sans t'aimer ; je n'ai pas passé une nuit sans te serrer dans mes bras ; je n'ai pas pris une tasse de thé sans maudire la gloire et l'ambition qui me tiennent éloigné de l'âme de ma vie. Au milieu des affaires, à la tête des troupes, en parcourant les camps, mon adorable Joséphine est seule dans mon coeur, occupe mon esprit, absorbe ma pensée. Si je m'éloigne de toi avec la vitesse du torrent du Rhône, c'est pour te revoir plus vite. Si, au milieu de la nuit, je me lève pour travailler, c'est que cela peut avancer de quelques jours l'arrivée de ma douce amie, et cependant, dans ta lettre du 23 au 26 ventôse, tu me traites de vous.
Vous toi-même ! Ah ! mauvaise, comment as-tu pu écrire cette lettre ! Qu'elle est froide ! Et puis, du 23 au 26, restent quatre jours ; qu'as-tu fait, puisque tu n'as pas écrit à ton mari ?... Ah ! mon amie, ce vous et ces quatre jours me font regretter mon antique indifférence. Malheur à qui en serait la cause ! Puisse-t-il, pour peine et pour supplice, éprouver ce que la conviction et l'évidence (qui servit ton ami) me feraient éprouver ! L'Enfer n'a pas de supplice ! Ni les Furies, de serpents ! Vous ! Vous ! Ah ! que sera-ce dans quinze jours ?...
Mon âme est triste ; mon coeur est esclave, et mon imagination m'effraie... Tu m'aimes moins ; tu seras consolée. Un jour, tu ne m'aimeras plus ; dis-le-moi ; je saurai au moins mériter le malheur... Adieu, femme, tourment, bonheur, espérance et âme de ma vie, que j'aime, que je crains, qui m'inspire des sentiments tendres qui m'appellent à la Nature, et des mouvements impétueux aussi volcaniques que le tonnerre. Je ne te demande ni amour éternel, ni fidélité, mais seulement... vérité, franchise sans bornes. Le jour où tu dirais «je t'aime moins» sera le dernier de ma vie. Si mon coeur était assez vil pour aimer sans retour, je le hacherais avec les dents.
Joséphine, Joséphine ! Souviens-toi de ce que je t'ai dit quelquefois : la Nature m'a fait l'âme forte et décidée. Elle t'a bâtie de dentelle et de gaze. As-tu cessé de m'aimer ? Pardon, âme de ma vie, mon âme est tendue sur de vastes combinaisons. Mon coeur, entièrement occupé par toi, a des craintes qui me rendent malheureux... Je suis ennuyé de ne pas t'appeler par ton nom. J'attends que tu me l'écrives. Adieu ! Ah ! si tu m'aimes moins, tu ne m'auras jamais aimé. Je serais alors bien à plaindre.P.-S. - La guerre, cette année, n'est plus reconnaissable. J'ai fait donner de la viande, du pain, des fourrages ; ma cavalerie armée marchera bientôt. Mes soldats me marquent une confiance qui ne s'exprime pas ; toi seule me chagrine ; toi seule, le plaisir et le tourment de ma vie. Un baiser à tes enfants dont tu ne parles pas ! Pardi ! cela allongerait tes lettres de moitié. Les visiteurs, à dix heures du matin, n'auraient pas le plaisir de te voir. Femme !!!
Albenga, le 18 germinal
Je reçois une lettre que tu interrompt pour aller, dis-tu, à la campagne ; et, après cela, tu te donne le ton d'être jalouse de moi, qui suis ici accablé d'affaires et de fatigue. Ah ! ma bonne amie !...
Il est vrai que j'ai tort. Dans le printemp, la campagne est belle ; et puis, l'amant de 19 ans s'y trouvait sans doute. Le moyen de perdre un instant de plus à écrire à celui qui, éloigné de 300 lieues de toi, ne vit, ne jouit, n'existe que pour ton souvenir, qui lit tes lettres comme on dévore, après 6 heures de chasse, les mets que l'on aime.
Je ne suis pas content. Ta dernière lettre est froide comme l'amitié. Je ni ait pas trouvé ce feu qui allume tes regards, et que j'ai cru quelque fois y voir. Mais quelle est ma bizarerie !
J'ai trouvé que tes lettres précédentes oppressaient trop mon âme ; la révolution qu'elles produisaient attaquait mon repos, et asservissait mes sens.
Je désirais des lettres plus froides ; mais elles me donnent le glacé de la mort. La crainte de ne pas être aimé de Joséphine, l'idée de la voir inconstante, de la... Mais je me forge des peines. Il en est tant de réel ! Faut-il encore s'en fabriquer !!! Tu ne peux m'avoir inspiré un amour sans bornes, sans le partager ; et avec ton âme, ta pensée et ta raison, l'on ne peut pas, en retour de l'abandon et du dévouement, donner en échange le coup de la mort.
J'ai reçu la lettre de madame de Châteaurenaud. J'ai écris au ministre pour (illisible). J'écrirai demain à la première ? à qui tu feras des compliments d'usage. Amitié vraie à madame Tallien et Barras.
Tu ne me parles pas de ton vilain estomac ; je le déteste. Adieu, jusqu'à demain, mio dolce amor. Un souvenir de mon unique femme, et une victoire du destin : voilà mes souhaits. Un souvenir unique, entier, digne de celui qui pense à toi et à tous les instants.
Mon frère est ici ; il a apris mon mariage avec plaisir ; il brûle de l'envie de te connaître. Je cherche à le décider à venir à Paris. Sa femme est accouché ; elle a fait une fille. Il t'envoient pour présent une boîte de bonbons de Gênes. Tu recevras des oranges, des parfums et de l'eau de fleurs d'oranger que je t'envoye.
Junot, Murat te présentent leur respect.
Un baiser plus bas, plus bas que le sein.