SEO

September 23, 2011

Pourquoi la télé diabolise Facebook

Pourquoi la télé diabolise Facebook

 

Par André Gunthert, lundi 15 décembre 2008 à 22:22 (29019 vues, permalink, rss co) :: Médias

«Ne pas s'inscrire sur ces sites de réseaux sociaux.» Tel était le conseil conclusif après le reportage diffusé par France 2, le 4 décembre 2008, dans l'émission Envoyé spécial ("Planète Facebook", 32", par Jérémie Drieu et Matthieu Birden). Quelques mois après l'achèvement de la campagne victorieuse de Barack Obama, qui avait su trouver dans la convivialité de Facebook le moyen de favoriser une relation plus souple et plus moderne à la mobilisation politique, la France de la loi Hadopi, parfaitement servie par la télévision publique, marquait encore une fois sa différence.

Aux Etats-Unis, où la série télévisée "Les Simpsons" peut parodier "Everyday", la vidéo culte de Noah Kalina, les pratiques numériques sont pleinement intégrées à la culture commune. Mais au pays de Nadine Morano, foin de digital literacy, on en est encore à la "fracture numérique". Autrement dit à l'ignorance et au rejet, qui continuent de structurer le rapport de l'intelligenstia ou des grands médias à la société de l'information.

Quel intellectuel français a pris des positions marquantes en faveur du web 2.0? Quel journal national a porté un regard éclairé sur les réseaux sociaux? Quel ouvrage nous a expliqué la nouvelle économie que nous préparent les grands moteurs de recherche? Je compte sur mes lecteurs pour combler mes lacunes, mais il faut bien admettre qu'à toutes ces questions, la réponse ne jaillit pas spontanément. Ce qui n'empêche nullement les pratiques numériques de prospérer. Les Français ont reconnu sans l'aide d'aucun plan gouvernemental tout l'intérêt de ces nouveaux outils, et sont désormais plus de 5 millions à utiliser Facebook. Le problème de la patrie d'Asterix n'est pas situé du côté des usages. Il est tout entier dans le déficit explicatif et le refus par les élites d'accorder une dimension culturelle aux TIC.

Premier reportage de la télévision publique consacré aux réseaux sociaux, "Planète Facebook" restera comme l'un des symptômes les plus achevés des incompréhensions de la société française. Trois questions au fondateur Mark Zuckerberg, un micro-trottoir, quelques témoins et un aller-retour à Palo Alto (Californie) faisaient un matériel un peu léger. On a donc rajouté dans la balance l'avis du spécialiste à tout faire Serge Tisseron, celui du commissaire gouvernemental aux blogs, le discret Vincent Ducrey, le tout entrecoupé d'images floutées, filées, décadrées, qui fleurent bon l'investigation en caméra plus ou moins cachée.

Qu'a appris le télespectateur? Que Facebook capte toutes vos donnés privées, y compris vos préférences sexuelles, et les partage avec ses 150 millions de membres. Qu'il sert à des gamines de 14 ans à s'exhiber et à trouver de la drogue. Qu'il fâche les couples et leur permet de s'espionner. Mais le meilleur est gardé pour la fin. Derrière Facebook, nous susurre-t-on, se dissimule en réalité un complot planétaire: une gigantesque collecte de données, susceptible d'être vendue à la CIA, voire livrée à un fabricant de robots-mixers. Si l'on doutait encore, une caméra filmant la couverture du livre d'Orwell en apporte la preuve: Facebook = Big Brother. CQFD.

Pas étonnant que les usagers de Facebook aient reçu un peu fraîchement cette avalanche de clichés. La vie sur le réseau est moins rocambolesque. Il serait fastidieux de redresser toutes les erreurs du reportage. Précisons seulement qu'il faut être âgé de plus de 18 ans pour y ouvrir un compte, et que loin de communiquer avec la Terre entière, un usager ne s'adresse qu'au groupe choisi de ses contacts. C'est ce qui fait tout le charme de Facebook: le côté machine à café ou cour de récréation, où l'on a plaisir à se rendre pour échanger une plaisanterie à la cantonade ou partager une vidéo sur YouTube.

Là est bien la nouveauté du site, que nul à France 2 n'a songé à expliquer – rendant parfaitement mystérieux l'engouement planétaire pour le réseau social. Loin de la morosité des JT, mieux que l'infotainment: l'attractivité de Facebook réside dans l'association d'un agrégateur de news (les lectures en ligne filtrées par le groupe des friends) et d'une convivialité ludique, manifestée par les jeux, les poke et autres commentaires, dans un climat de confiance amicale. Des infos + des jeux + de l'interaction: une équation magique qui fait pâlir d'envie n'importe quel vieux média.

Evidemment, comme au pique-nique du club sportif, chacun apporte son manger – ce qui explique les idiosyncrasies propres à chaque micro-communauté. Nul doute que, pour celui qui veut trouver pornographie, vente d'armes et autres pont-aux-ânes des magazines télé, Facebook possède dans ses recoins de quoi assouvir ces coupables penchants. Non moins que ceux des amateurs de coucous suisses, des collectionneurs de ronds de serviette, des adeptes de la récitation à l'envers de l'oeuvre de Teddie Wiesengrund-Adorno ou de toute autre curiosité socialement partageable (mais pas nécessairement aussi aguichante aux yeux d'un directeur des programmes).

Mais à quoi bon tenter de corriger la caricature? Il y a au moins trois bonnes raisons pour la télé de diaboliser les pratiques numériques. La première est bien sûr l'ignorance. Situés au point de rencontre de la culture jeune, des usages technophiles et de l'influence américaine (trois domaines dans lesquels la télévision française n'a pas fait la démonstration de son expertise), les réseaux sociaux sont précipités dans un véritable triangle des Bermudes de la compréhension.

A en juger par les spécialistes sollicités, les journalistes seront probablement surpris d'apprendre qu'il existe d'excellents chercheurs français qui travaillent sur ces terrains. Comme Dominique Pasquier, dont les travaux sur la «culture commune» des jeunes générations éclairent de subtiles nuances l'arrière-plan des pratiques numériques. Comme Laurence Allard, qui suit pas à pas les paradoxes de l'expression de soi par les outils en ligne. Comme Dominique Cardon, dont le jeu Sociogeek vient justement d'apporter des réponses précises sur le contrôle par les usagers des conditions de leur exposition. Comme Rémi Douine, qui scrute en direct-live les zigzags de l'économie de la viralité. Sans oublier les chercheurs du Lhivic – Jeanne Mercier, Gaby David, Fatima Aziz... – qui explorent la dimension visuelle de ces nouveaux comportements. On pourrait allonger sans peine cette liste d'un savoir déjà riche, si cela pouvait servir à quelque chose. Mais le goût du préjugé que manifeste le documentaire résulte d'un tout autre choix.

Car la deuxième raison tient à la logique interne des magazines de reportage, que la pression de la concurrence et la baisse des audiences conduisent à délaisser le schéma de l'explication pédagogique, jugé ringard et casse-pied. L'investigation télé préfère aujourd'hui jouer d'un registre plus trash: l'effroi. Longuement mis au point par l'émission "Le droit de savoir", produit par Charles Villeneuve et Gérard Carreyrou sur TF1, le docu-qui-fait-peur est le dernier format qui fait encore recette. Tant qu'il sera perçu comme une activité exotique, le web sera traité de la même façon que la prostitution, la vie des cités ou l'anorexie, à coup d'images tremblées, de visages floutés, sur une illustration musicale haletante.

Mais la principale raison de son animosité relève d'un facteur que la télé ne peut avouer. Chaque nouvelle étude le démontre: le web dans son ensemble et les réseaux sociaux en particulier comptent désormais parmi les concurrents les plus redoutables du divertissement télévisé. Il est évidemment assez comique de faire mine de découvrir la publicité ciblée et la présenter sous l'angle d'un complot planétaire, de la part d'un média qui vend son audience d'une façon bien moins efficace, mais guère différente dans son principe. Si la télévision publique verra demain réduire ses ressources publicitaires par décret, nul doute que ses services marketing partageraient avec enthousiasme les précieuses données de Facebook ou de Google.

«Ne pas s'inscrire sur ces sites de réseaux sociaux.» — Recommandation pour se protéger des risques d'une exposition indésirable? Ou exhortation pour tenter de préserver une audience déclinante? Dans tous les cas, la crédibilité de la télévision publique n'est plus suffisante pour qu'un avis de ce type ait la moindre efficacité sur les jeunes générations. Comme l'écrit Vincent Glad d'une formule définitive: «C’est en regardant ce genre de reportage qu’on se dit que la télévision dans sa version grand-messe familiale ressemble de plus en plus à la sidérurgie des années 1970, ou plutôt à l’automobile des années 2000. Diffuser un reportage sur Facebook en prime-time, c’est comme essayer de produire un 4X4 écolo, c’est perdu d’avance.»

Réf.
- "Planète Facebook", 32", par Jérémie Drieu et Matthieu Birden, production France 2, diffusion: Envoyé spécial, 04/12/2008.

Illustrations: affiche du film The Land that Time Forgot (USA, Kevin Connor, 1975), via Wellmedicated. Extraits du reportage (vidéogrammes).

Lire aussi sur ce blog:

 

Tags: , , , ,

< | >

Commentaires

1. Le lundi 15 décembre 2008 à 23:26, par Fabien.

Sur les intellectuels français et les réseaux sociaux, Bernard Stiegler en a semblerait-il touché deux mots lors d'une intervention à Beaubourg en octobre : internetactulive.blogspot...

2. Le lundi 15 décembre 2008 à 23:39, par André Gunthert

Merci de l'indication. Stiegler est en effet l'un des rares intellectuels connus à s'intéresser sérieusement aux TIC (au détail près qu'il serait plutôt partisan du web 3.0... ;-)

3. Le lundi 15 décembre 2008 à 23:53, par Gédé

Après la peur de l'autre, la peur du chômage, de la crise, etc... il y aura la peur du web .

4. Le mardi 16 décembre 2008 à 00:31, par Hubert Guillaud

Décidément, ce reportage est un symptôme. cf. commentaires.
fr.readwriteweb.com/2008/...

5. Le mardi 16 décembre 2008 à 00:57, par delcroix

Merci pour commencer par le lien :-) On ne pourra pas m'accuser de défenseur à la solde.

Petite rectif donc, il est possible depuis l'arrivée de la version française de Facebook de se créer un compte Facebook à partir de 13 ans ! C'était impossible avant !

Pour en avoir rediscuté avec Jérémie Drieu, son intention n'était pas de dire de ne pas s'inscrire sur ces sites de réseaux sociaux ! Moi même je l'avais pris dans ce sens. Ce qu'il voulait exprimer était que si l'on ne souhaitait pas avoir ses informations personnelles en ligne, il valait mieux ne pas s'inscrire. Par contre, ses conseils sur la gestion de la confidentialité étaient corrects. Je prone depuis longtemps la formation à Facebook :-)

Autre remarque, Jérémie Drieu possède deux comptes Facebook :-) et je peux dire qu'au moins depuis le mois de septembre, il est passé pratiquement chaque jours sur Facebook... !

Celà ne m'empêche pas de ne pas approuver son reportage... non pas, "parce que j'ai un bouquin à vendre", ni comme utilisateur acharné de Facebook, mais comme simple observateur et utilisateur de l'outil !

6. Le mardi 16 décembre 2008 à 00:59, par colodio

J'ai réactivé mon compte Facebook en lisant les réactions à l'émission. Solidarité :-)

7. Le mardi 16 décembre 2008 à 01:05, par André Gunthert

@delcroix: Merci pour l'exégèse des propos de Drieu, dont on regrettera que le sens profond ait malheureusement échappé au téléspectateur dépourvu d'oreillette. Pour les conseils sur la gestion de confidentialité, désolé de préférer ceux de Danah Boyd.

Une remarque tout de même: est-ce qu'il n'est pas un peu con que la seule question qui vienne à l'esprit après ce reportage soit de savoir comment se protéger de l'interaction sur Facebook, alors que ceux qui s'y inscrivent, comme les publics jeunes, y vont précisément parce qu'ils la recherchent – et qu'après tout c'est un peu la raison d'être d'un réseau social?

8. Le mardi 16 décembre 2008 à 01:12, par bohwaz

Réduire le reportage à une peur de la télévision de perdre son audience au profit du web, c'est un peu simpliste non ? Alors que justement les statistiques montrent que les réseaux sociaux favorisent l'audimat de certaines émissions de télé (et notamment la télé-réalité), grâce au bouche à oreille et aux "groupes". L'audience se déplace, elle ne disparaît pas.

Quand au fond du problème : Facebook est évidemment dangereux, car son public est jeune, souvent mineur, et n'hésite pas une seule seconde à laisser son véritable nom, adresse, numéro de téléphone etc. dessus, sans la moindre réflexion. Alors que justement les réseaux sociaux classiques (netlog, skyrock, myspace, msn, etc.) se battent depuis des années pour protéger les mineurs, à avoir justement une attitude pédagogique à dire "fait gaffe à rien dire sur toi de trop personnel, tout ça c'est public tout le monde peut le voir, soit un peu attentif, on vis pas chez les bisounours", facebook débarque d'un coup, avec ses grands sabots en disant "vas-y met ton vrai nom[1], ton adresse, etc. et après si t'y pense va dans les options machin qui sont cachées dans l'onglet truc si tu veux pas le montrer". Par défaut facebook est *trop* public et détruit des années de travail de sensibilisation, c'est ça qui est dangereux.

Je vous dis même pas comment c'est super facile de trouver l'adresse hotmail/msn d'une mineur, d'entrer cette adresse dans facebook et paf il vous donne son vrai nom et on a au minimum (configuration par défaut pour les français) sa liste d'amis et si on est dans le même réseau on peux voir son profil... A partir de là c'est super facile de localiser la personne, ses habitudes, son cercle de relations et d'en déduire son collège/lycée, etc.

Oh bien sûr avant il était possible d'aller parler au mineur sur msn et de lui soutirer ces informations-là, mais ça laissait une trace, ça prenait du temps, et ça pouvait ne pas marcher à tous les coups. Là c'est magique on a même pas besoin d'entrer en contact avec la personne, et ça marche dans 90% des cas.

Mais sinon à part ça facebook c'est super cool et faut pas en avoir peur. Moi je suis désolé une boite comme ça qui n'a aucune visibilité économique et aucun plan à court terme, qui engrange des quantité phénoménales de données personnelles et privées que personne d'autre n'avait jusque là, qui ne se soucie pas le moins du monde des risques potentiels à l'exposition de ces données, si ça vous rends pas méfiant faut vous enlever les oeillères qui vous cachent la vue...

[1] Il y a peu de temps encore il n'était pas possible de mettre un faux nom, c'était vérifié à la main par des humains.

9. Le mardi 16 décembre 2008 à 01:23, par André Gunthert

Ce n'est pas en répétant les arguments du reportage que vous leur donnerez plus de poids. Si vous êtes inquiet à propos des "quantités phénoménales de données personnelles et privées que personne d'autre n'avait jusque-là", un conseil: renoncez à Google, qui conserve dans des datacenters bien plus gros que ceux de Facebook la trace de la moindre de vos requêtes, et qui compte bien en faire usage.

Il y a de nombreux points à discuter à propos des réseaux sociaux sans tomber dans la paranoia et la théorie du complot. Loin de permettre d'aborder ces reflexions, "Planète Facebook" en éloigne et brouille la compréhension. Comme d'autres, je pense que l'usage du web chez les jeunes doit être accompagné par leurs parents ou leurs éducateurs. Encore faut-il que ceux-ci ne considèrent pas ces ressources comme des menaces et les maîtrisent suffisamment pour pouvoir les guider. Ce n'est pas en les effrayant ou en agitant des caricatures qu'on va faciliter leur rapport aux outils numériques, mais en intégrant pleinement ces pratiques au sein d'une culture partagée.

Cela posé, on ne peut réduire les usages des réseaux sociaux à ceux des ados. C'est un peu comme si, abordant le cinéma ou la littérature, on se limitait à considèrer les oeuvres autorisées aux moins de 16 ans ou les seuls angles éducatif et moral... Internet est aussi une affaire de grandes personnes. Et comme le cinéma ou la littérature, une culture qui développe ses propres codes et invente au quotidien ses propres formes. Ne pas reconnaître que les réseaux sociaux sont un espace d'échange passionnant est faire preuve d'une étrange myopie.

10. Le mardi 16 décembre 2008 à 07:48, par Martine

Bonjour,

Je produis une émission sur la Radio Suisse Romande, "Médialogues", dont vous trouverez le détail sur le site. J'aimerais vous interviewer sur le sujet des docus qui font peur et sur FB. Pouvez-vous me contacter?
Merci
M.G.

11. Le mardi 16 décembre 2008 à 08:51, par Snoop Snoop

Ok donc votre résumé c'est: facebook concurrence la télé, normal qu'elle soit jalouse. Ceux qui ont peur pour leur vie privée sont des réactionnaires paranoïaques. Et vous vous plaignez du niveau du débat...

A mes yeux le respect de la vie privée est plus important que ce que cet "espace d'échange passionnant" a à m'offrir. C'est si grave que ça de penser ça?

12. Le mardi 16 décembre 2008 à 09:04, par André Gunthert

@Snoop Snoop: Pourquoi n'auriez-vous pas le droit de penser ça? De là à réaliser un reportage sur cette base, ce serait comme demander à quelqu'un qui déteste le couscous de préparer le plat. Si j'étais chef cuistot, je confierais la recette à quelqu'un d'autre. Quant à voir l'investigation télé comme le chevalier protégeant la veuve et l'orphelin, permettez-moi d'avoir un doute. A moins que vous considériez le procédé consistant à filmer la couverture du livre d'Orwell comme respectueux et d'une parfaite honnêteté pédagogique?

13. Le mardi 16 décembre 2008 à 09:12, par Fabrice Epelboin

Certes, il existe bon nombre d'intellectuels Français qui ont une vision de l'internet autrement plus construite que ce que la télévision publique laisse apparaître (et comme souvent, l'EHESS n'est pas en reste et en compte pas mal dans ses murs), mais le vrai souci est leur manque de visibilité.

Dans un domaine proche - que nous avons traité lors de l'affaire du 'Rapport Hadopi' sur RWW, il se trouve que l'un des pontes du rapport économique entre 'piratage' et 'industrie culturelle' est Français (cette fois ci, hébergé à l'ENST), mais là encore, il souffre d'un manque de visibilité et ne peut pas lutter, à lui tout seul, contre le préjugé (totalement infondé) qui associe piratage, P2P et baisse des ventes de disque.

J'avais pour ma part analysé le problème sous l'angle d'une fracture générationelle, mais Hubert (commentaire 4, ainsi qu'Alexis Mons) ont rebondi sur cette analyse pour m'en proposer une qui - je dois bien l'avouer - éclaire mieux la situation : nous sommes face à une fracture institutionnelle, face à laquelle nous ('média' tels que RWW, fondations telles que la Fing, institutions pédagogiques telles que l'EHESS, et entreprises du secteur 'web 2.0') pouvons et devons faire quelque chose. Reste à s'organiser, ce qui, vu les outils dont nous disposons, ne devrait pas être si difficile que cela.

Un petit peu d'auto promo pour conclure, nous avons lancé un appel pour réaliser un ou plusieurs documentaires destinés à présenter une autre vision de Facebook et des réseaux sociaux, c'est là que cela se passe : fr.readwriteweb.com/2008/...

14. Le mardi 16 décembre 2008 à 10:50, par Cobab

Ça rappelle le clip « il est là David », non ? (pas de lien, désolé, je garde pas ce marque-page ce genre de truc).

Ao-delà de la rivalité télé-Nénette, on a affaire à une attitude assez générale ; on trouve une assez bonne description de cet état d'esprit dans _La Fille sans qualités_ de Juli Zeh (la scène se déroule dans la salle informatique du lycée) :

« [Elle] regardait en direction de la porte et vit s'inscrire dans l'encadrement la tête d'Erich qui, comme tous les jours, voulait s'assurer que personne ne jouait à Counter Strike ou à un autre jeu qui lui assurerait une formation de guerillero, de kamikaze ou autre psychopathe de bazar. L'éducateur venait au nom d'une humanité qui dans sa folie était persuadée que ces derniers temps le mal proliférait en priorité sur la Toile. (…)
Au plus tard de puis la première suite de _Matrix_, tout un chacun savait que l'on pouvait exporter le mal dans le monde des programmes comme on le fait des déchets gênants dans les pays de l'Est. Bits et octets, virus et bogues devaient s'affronter et s'anéantir mutuellement jusqu'à la fin des temps dans le cadre d'une guerre virtuelle. Le nouvel enfer était fait de lumière, d'acier, de laque et de cuir tandis que la fraction libre de l'humanité s'en était retournée dans la boue originelle d'un paradis souterrain. Voilà pourquoi on s'efforçait à tout prix de contenir la violence à l'intérieur du Net. Il ne fallait pas que le moindre vecteur, que l'agent le plus infime quitte l'enceinte des réserves interdites du monde numérisé. Les cloisons étanches devaient rester parfaitement closes, les brèches colmatées afin que le mal ne puisse pas s'infiltrer dans le corps d'un innocent qui allait semer la terreur au fusil à pompe ou à la tronçonneuse. Erich, une nouvelle loi ou un bureau de vérification devaient être les garants de la situation : la réalité était bonne, Internet était mauvais et il devait être pratiquement impossible de jeter des passerelles entre les deux. »

(Trad. Br. Hébert & J.-Cl. Colbus, éditions Babel, la ponctuation est d'origine, les éventuelles fautes de frappe de moi.)

Les mêmes qui s'inquiètent si fort de nos données sur Facebook devraient s'émouvoir aussi des portables ou de Navigo, non ?

(Désolé pour la longueur du commentaire.)

15. Le mardi 16 décembre 2008 à 11:03, par benjamin

Pour répondre à la question du début et gagner un carambar virtuel : mis à part Stiegler, je mentionnerais également Jacques Derrida qui, même s'il n'a pas vécu assez longtemps pour connaître toutes les évolutions les plus récentes du ouèbe 2.0, a eu très tôt un discours construit et équilibré sur « le WWW », comme il disait à l'époque. Idem au sujet de la télé, dans les entretiens avec Stiegler, justement. D'autre part, il n'a pas eu à attendre facebook, ni même le ouèbe, pour s'intéresser aux mutations du partage des sphères publique/privée, c'était déjà un des thèmes majeurs de La carte postale, en 1979. Ce qui me semble intéressant dans la réflexion de Derrida, au sujet d'internet par exemple mais pas seulement, c'est que, tout en restant ouvert à « ce qui vient », aux mutations en cours, il analyse aussi la réserve, le potentiel de vigilance critique, que renferme néanmoins le discours « anti-technique », même si celui-ci prend les traits d'un discours réactionnaire. Autre point crucial mis en avant par Derrida : la mutation en cours concerne surtout la vitesse et la puissance, et non en fait la potentialité, laquelle était déjà présente (avant internet, par exemple). Tout ça pour dire : la peur de facebook (ou, au même moment, la peur des « blogs » de la part du secteur de l'édition et des médias) n'est que la version actuelle d'une assez vieille affaire, qui est la peur de la technique elle-même.

(C'était d'ailleurs je crois dans l'émission de FranceCul « les vendredis de la philosophie », justement la semaine dernière, on entendait justement Derrida expliquer qu'il faut tenir les deux bouts, même si c'est im-possible : à la fois s'accrocher à ce qu'il faut sauver du passé ET être ouvert à ce qui vient. À réécouter ici : www.radiofrance.fr/chaine... )

Bon, sur ce, je m'en retourne réciter à l'envers mon texte de Teddie W.-A. du matin...

benjamin

16. Le mardi 16 décembre 2008 à 11:44, par Erwan

Sujet complexe et format de reportage court, angle volontairement peu didactique et fort anxiogène pour favoriser l'audimat, concurrence entre télévision et internet (j'y reviendrai), manque de temps pour mener correctement les investigations (rappelons-le aussi)... Il faut reconnaître que face à ces réalités parfois choisies, souvent imposées, les risques de faire un reportage décevant étaient grands.

Mon propos est bien moins de trouver des excuses aux journalistes et à la télé en général (ce n'est pas à moi de le faire et j'aurais bien du mal à le faire à la place des intéressés) que de me demander comment la qualité d'un futur reportage de ce genre pourrait être améliorée. Car au risque de paraître naïf, je suis convaincu que c'est possible. J'ai du mal à croire à la thèse de la télé qui saperait l'image de Facebook pour sa propre survie : pourquoi ne pas continuer à taire son existence ? Pourquoi se mettre à présenter Facebook comme un danger seulement maintenant ? Et puis la stratégie émergente des chaînes de télévision, par exemple en matière de podcast ou de VOD, tend à montrer qu'internet n'est pas totalement un ennemi, mais d'une certaine façon également un allié précieux.

Je plaiderais pour l'ignorance en premier lieu. S'agissant de donner au reportage une tournure volontairement inquiétante, un tel principe n'exclue pas de se poser les bonnes questions, de situer l'inquiétude (il doit y en avoir selon moi vis-à-vis des réseaux sociaux en général et de Facebook en particulier) au(x) bon(s) endroit(s).
Ainsi la lecture de ton article m'amène à me demander si les spécialistes susceptibles d'aider les journalistes à se poser ces bonnes questions ne pourraient pas être trouvés plus facilement (et là je pense moins à toi, André, qu'à ceux que tu mentionnes), notamment via internet. J'insiste sur le "facilement", car quitte à devoir composer avec une ignorance supposée des journalistes (ou des lacunes dans leur formation), autant le faire dès ce stade.

Ces spécialistes ne sont certainement pas inactifs sur la toile, mais leur activité n'est peut-être pas assez visible ? Peut-être ces spécialistes devraient-ils non seulement soigner leur référencement sur certains mots-clés susceptibles d'être tapés par les journalistes ça et là sur internet, mais mieux encore, peut-être devraient-ils montrer aux journalistes qu'ils sont de "bons clients" pour la télé. En ayant recours au format vidéo et en se montrant en interview. Idéalement, ces vidéos n'auraient pas valeur d'exemple mais pourraient être reprises et citées directement par les journalistes pressés dans leur reportage (souvenons-nous de la façon dont notre président est arrivé au pouvoir, en proposant des images pré-fabriquées de lui-même aux médias).

Aucun intellectuel français n'a pris "des positions marquantes en faveur du web 2.0" ? Il y a donc au moins une place - certes exposée à la critique en lieu et place des journalistes - à prendre, et un "jeu" passionnant à jouer avec les médias, sur le web 2.0 en général. Faut-il que l'intellectuel soit marquant lui aussi ? Qui d'autre que ces spécialistes pour nous parler de tout ça avec brio ? Personnellement, je ne vois aucune incompatibilité entre leur sujet de recherche, leur carrière et leur notoriété, bien au contraire... Qui s'y colle ? N'espérez pas que la télé change, changez la télé.

17. Le mardi 16 décembre 2008 à 12:05, par Tisane

Bonjour,
Je suis pour ma part aussi inquiet par la diabolisation et l'incompréhension totale du Web de nos ministres, que par ces nouvelles pratiques qui parce qu'elles sont précisément nouvelles, tous les aspects nous échappent un peu.
Je crois que nous entrevoyons qu'une infime partie des problèmes de la collecte d'informations volontaires, centralisées par une entreprise privée. Le simple fait que des millions de personnes soient répertoriées dans une base, indépendamment des promesses de probité, des respect de la vie privée faites par l'entreprise, constitue un danger pour la liberté de chacun.
Avec Facebook nous ne sommes pas dans un domaine de collaboration horizontal où chaque individu maitrise l'information qui le concerne, mais nous sommes dans un bon vieux modèle centralisé ou l'individu livre littéralement ces informations d'ordre privé sans avoir la possibilité technique de les reprendre. Même une disposition légale ne changerait rien à l'affaire. A la base il y a un déséquilibre dans la structure même des rapports de force.
Nous sommes dans un cas où la technique, les choix d'architecture du service sont bien loin d'être transparents et tendent à concentrer l'information en un lieu de l'espace et du temps risquant d'occasionner à terme un déséquilibre des pouvoirs. Facebook est une société qui n'a pas seulement un potentiel financier (qui n'a pas encore vu le jour d'ailleurs parce que les dirigeants actuels on peut être trop d'état d'âme), mais également un potentiel en tant qu'instrument au service d'un pouvoir. Lequel ? Je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c'est qu'il n'appartient pas aux utilisateurs.

18. Le mardi 16 décembre 2008 à 12:19, par Tisane

Désolé de tronçonner en deux mon message.
L'internet est par nature décentralisé, et aujourd'hui il y a de nouveau un mouvement vers une convergence, due notamment au poids des entreprises privés, des opérateurs...
Il y a tout sous la main pour développer aujourd'hui un service similaire à Facebook de type décentralisé où chacun hebergerait chez soi ses données personnelles avec la possibilité de les retirer à tout moment. Ce type d'architecture est à la base du système DNS sur le web ou plus connu du P2P. Du coup ce modèle de collaboration en ferrait un outil au potentiel démocratique jamais réalisé auparavant.

19. Le mardi 16 décembre 2008 à 13:40, par FM

Pour rebondir sur la fracture numérique chère au "pays de Nadine Morano", vous avez sûrement vu la campagne gouvernementale de prévention sur les "dangers du web", qui passe à la télé : des skins, des freaks qu'on devine un peu porno, un robot jeux vidéos à l'ancienne, un pédophile, n'en jetez plus…
Fond de la forme : pour appeler de tout ton amour maternel une aide efficace au contrôle parental, sache, mère trop naïve, les menaces qui sourdent de derrière cet écran maléfique…
Le web, c'est pas bien.

Et quand c'est pas ce genre de campagnes publiques, c'est notre choeur de penseurs télé qui chantent en coeur la mélodie du "web repère de nazis", i.e. : les vermines pas très germanopratines..… Backchich = "Je suis partout".
Le web, c'est vraiment pas bien.

20. Le mardi 16 décembre 2008 à 14:41, par Berlol

Ne pas oublier tout de même de différencier deux types de dangers Facebook (ou autre réseau) : 1. l'accès aux données personnelles par des quidams (escrocs, pédophiles, etc.) qui cherchent pigeons ; 2. l'accès des gestionnaires de Facebook à toutes les données personnelles (que ce soit pour le marketing ou pour la police anti-terroriste...).

Par ailleurs, et ce n'est pas dit non plus : on n'est pas "obligé" de mettre son adresse et son téléphone. On peut même mentir — oh horreur — en écrivant qu'on habite au Palais de l'Elysée ou à Beverly Hills.
J'en connais aussi qui mettent de fausses photos d'eux et brouillent les pistes en devenant "amis" avec leurs homonymes...

21. Le mardi 16 décembre 2008 à 15:33, par david

aah, enfin un désaccord avec votre analyse cher André! votre papier ne fait que critiquer la façon dont les médias parlent de facebook: c'est à dire en diabolisant. Mais les médias diabolisent internet tout entier aujourd'hui comme les moines copistes devaient diaboliser l'imprimerie hier, la peur de la perte du monopole rend vite très vieux et très con.
Cela dit ce n'est pas parce que les médias diabolisent un usage particulier de ce nouveau moyen de communication que cet usage n'est pas, dans un sens, diabolique. Que pensez vous de facebook, vous, André Gunthert? Les gens sont individualistes et ne se parlent plus, qu'est ce qu'une nouvelle vitrine internet peut leur apporter? (même si celle ci est particulièrement aboutie). N'est ce pas juste un nouveau moyen de virtualiser le monde et les relations humaines, même, et surtout, chez les plus jeunes? Quoi de neuf depuis le caramail de mon enfance, si ce n'est l'invasion toujours croissante de la machine dans ma vie privée?

Le moyen internet est révolutionnaire, mais n'oublions pas que cette révolution est née dans le contexte d'une autre révolution, néolibérale. Prenons garde à ce que Google et consorts ne deviennent pas la Standard Oil du 21e siècle, en monopolisant l'information, non plus l'énergie.

22. Le mardi 16 décembre 2008 à 16:04, par Aurélien

Très intéressant billet sur la situation moranoïaque. Vous avez bien fait de préciser qu'il ne s'agissait pas "que" des ados. Pour la vision anxiogène, il est clair qu'il s'agit d'un puissant facteur d'audience, avec le sexe.

Le "Droit de savoir" avait ainsi des difficultés à dépasser l'indépassable dichotomie du (pire du) magazine français: les flics et les putes.

Pour vendre un sujet sur un réseau social que 5 millions de personnes connaissent déjà, il faut arriver avec des billes devant le diffuseur.

Le journaliste a tendance à "survendre" le sujet au producteur (qui en reçoit des dizaines par mois), qui le survend au diffuseur, qui veut en rajouter une couche au montage, etc. Il faut à chaque étape justifier qu'on a proposé le bon angle, et le diffuseur doit aussi se persuader qu'il a fait le bon choix. Un 26 minutes est vendu un peu moins de 30 000 euros. Ce n'est pas rien...

23. Le mardi 16 décembre 2008 à 18:54, par v/

Mouep, ça fait 20 ans que ça dure cette histoire. Ca a commencé dans les 80's par la peur du chomage (l'informatique supprime des emplois, vous nous prenez notre travail, etc..), on nous crachait dessus, nous prenait pour des barjeots. Et ça continue aujourd'hui. Ce qui est triste, c'est cette résistance obsessionnelle du 20eme siècle. On n'aura jamais vu un siècle avoir autant de prétention à imposer son modèle sur l'autre, autant d'énergie à vouloir étouffer sa jeunesse, résister à son propre avenir.
La vieille économie perdure à coup de tricheries, de contradiction, de flicage, d'interdiction, de tabassage, de peur, j'en passe. Et pourtant, des nouveaux modèles existent et fonctionnent déjà bien. Ma foi, plus ça resiste dans un sens, plus ça s'opposera dans l'autre. La question serait de s'attacher à éviter le séisme, et ça, c'est loin d'être gagné. Le 'monstre' vacille déjà sur sa base, à quoi ressemblera son dernier cri ?
v/

24. Le mardi 16 décembre 2008 à 19:14, par olivier b

J'ai exceptionnellement regardé "Envoyé Spécial" ce soir là en me disant que j'allais sûrement voir des spécialistes du web, comme André Gunthert ou des chercheurs du LHIVIC, ou d'ailleurs, des personnes qui pourraient aborder les enjeux sociologiques et anthropologiques de ce nouveau type de réification du lien social qui ouvre de nouvelles voies... J'étais encore une fois trop naïf, ce que j'ai vu était vraiment insignifiant et n'a pratiquement jamais dépassé le niveau du comptoir de bistrot... Mais au fond ces produit audiovisuel ne sont faits pour dévoiler le réel ni pour construire une réflexion, ils sont faits pour réitérer des idées reçues dans lesquelles un maximum de personnes se retrouveront... Et en ce moment, il faut faire peur avec internet, c'est une vogue gouvernementale.
Pour reprendre la comparaison que vous utilisez plus haut, ce "programme audiovisuel", après une longue enquête qui n'oublie aucune idée reçue (espionnage, arnaque, jalousie, sexe, drogue...) conseille à des gens qui n'aiment pas le couscous de ne pas en manger... Il est évident que si on ne veut pas s'exposer, il vaut mieux ne pas s'inscrire ou veiller à la confidentialité des données exposées, il n' y a rien de vraiment neuf dans cette tautologie... Je ne vois pas de téléspectateurs se dire à l'issue de ce "programme audiovisuel" "tiens je ne savais pas qu'on allait voir ce que j'ai écrit sur Facebook..." Le principe de Facebook étant de partager des informations personnelles, il paraît étrange de prétendre l'expliquer en lui reprochant son principe fondateur ...
Je suis bien d'accord avec vous, je remarque de ci de là, surtout dans la presse et à la télé une posture a priori critique à l'égard d'internet et des canaux d'échange et de communication qui échappent encore aux anciens médias... Le salon des refusés commence à inquiéter les salons institutionnels et sans l'aide de notre Napoléon III.
Certes, on ne sait pas ce que Facebook va faire de ces données, sûrement établir un fichier de sociostyles utiles aux publicitaires... servir d'enquête d'opinion permanente... servir de "renifleur de tendances" pour affiner le branding... enfin, convertir des singularités humaines en types économiques... c'est à voir... En attendant, au sein de ce réseau, des choses se passent qui constituent de nouvelles formes de socialité, où le temps et l'espace sont abolis... Il y a sûrement plein de choses intéressantes à en dire, que j'aurais bien aimé entendre, et il est dommage que le réalisateur dudit "programme audiovisuel" se soit contenté de scénariser les fantasmes préférés des spectateurs, en insistant sur le manichéisme de rigueur à la télévision...
Les drogués en manque, les pervers polymorphes, les détectives privés et les maris jaloux ont dû se ruer sur Facebook après la diffusion du programme, méfiez-vous des inscrits du 5 décembre 2008 !

25. Le mardi 16 décembre 2008 à 21:02, par cardamome

Sur internet qui-fait-peur-et-qui-menace-nos-charmantes-petites-têtes-blondes, grand moment dans la loi sur l'audiovisuel cet après-midi avec l'amendement Panafieu-Lefebvre.
Je rassure les inquiets : le CSA va se charger de la police.
Ouf.

26. Le mardi 16 décembre 2008 à 22:08, par jpbe

je n'ai même pas lu l'article jusqu'au bout car une chose m'a tout de suite fait sursauté : "Il est tout entier dans le déficit explicatif et le refus par les élites d'accorder une dimension culturelle aux TIC."
Bien sûr c'est évident mais il me semble que l'explication est doublement plus simple : d'abord ils font dans leur froc pour leur boulot car la désaffection croissante pour la télé menace leurs places et donc leurs revenus, ensuite et surtout c'est une perte de pouvoir et cela d'autant plus que le gouvernement contrôle la quasi-totalité des medias audiovisuels tandis qu'internet c'est beaucoup plus difficile!...
mais il ne faut pas se leurrer cela inquiète tous les dirigeants politiques sans exception car un dirigeant c'est quelqu'un qui aime qu'on lui obéisse au doigt et à l'oeil tout en marchant au pas (de l'oie?)...

27. Le mardi 16 décembre 2008 à 23:39, par André Gunthert

Extraits du discours du député Frederic Lefebvre, porte-parole de l'UMP, défendant le 15/12 devant l'Assemblée son amendement n° 844:

«Je tiens beaucoup à cet amendement parce que le monde vient de vivre la plus grave crise qu’il ait connue depuis 1929, et qu’une seule réponse s’est imposée – réclamée sur tous les bancs: la régulation. Il aura fallu attendre que des établissements financiers soient en faillite, que la croissance soit au point mort, que des pays soient au bord du gouffre, pour que le monde se réveille et accepte enfin de construire un système régulé au plan international. Faudra-t-il attendre qu’il y ait des dégâts irréparables pour que le monde se décide à réguler Internet?

L’absence de régulation financière a provoqué des faillites. L’absence de régulation du Net provoque chaque jour des victimes! Combien faudra-t-il de jeunes filles violées pour que les autorités réagissent? Combien faudra-t-il de morts suite à l’absorption de faux médicaments? Combien faudra-t-il d’adolescents manipulés? Combien faudra-t-il de bombes artisanales explosant aux quatre coins du monde? Combien faudra-t-il de créateurs ruinés par le pillage de leurs oeuvres?

Il est temps, mes chers collègues, que se réunisse un G20 du Net qui décide de réguler ce mode de communication moderne envahi par toutes les mafias du monde.

(...) La mafia s’est toujours développée là ou l’État était absent; de même, les trafiquants d’armes, de médicaments ou d’objets volés et les proxénètes ont trouvé refuge sur Internet, et les psychopathes, les violeurs, les racistes et les voleurs y ont fait leur nid.

(...) On va me répondre que je ne comprends rien à Internet, que je dépeins le retour de Big Brother, une atteinte à la liberté, que ma proposition n’est pas applicable, qu’elle pousserait les sites à s’installer à l’étranger, etc. En fait, je connais sans doute plus que d’autres le monde d’Internet pour des tas de raisons.»

Lire également:
www.numerama.com/magazine...
www.marianne2.fr/Frederic-Lefebvre...

28. Le mercredi 17 décembre 2008 à 00:01, par topinambeur

"Précisons seulement qu'il faut être âgé de plus de 18 ans pour y ouvrir un compte" : ce n'est pas tout à fait vrai, la rêgle est plutot 13 ans. Les conditions d'utilisation disent : "vous certifiez avoir 13 ans ou plus et fréquenter un établissement d'enseignement secondaire ou supérieur ou avoir 18 ans ou plus".

C'est d'ailleurs assez étonnant cette différence entre 13 ans et fréquenter un établissement secondaire et 18 ans. Savez vous d'où ca vient ?

29. Le mercredi 17 décembre 2008 à 16:13, par Odile M

Billet très intéressant qui appelle les réactions...
Pour l'anecdote, au sujet de la méfiance face aux nouvelles technologies, une citation:
« le téléphone est une invention étonnante, mais qui voudra un jour se servir d’un tel appareil. »

Rutherford B. Hayes, président des Etats Unis de 1877 à 1881

30. Le mercredi 17 décembre 2008 à 16:31, par André Gunthert

A lire, la contre-interview de Maxime (une des deux adolescentes filmées dans "Planète FB"), sur Gobz.org:
www.gobz.org/2008/12/17/e...

31. Le mercredi 17 décembre 2008 à 22:33, par LaurentN

La lecture de l'article de Gobz.org nous prouve une fois de plus qu'il est aussi dangereux de laisser son enfant être interviewé par la télé que de "jouer" à se construire sur le réseau...

32. Le mercredi 17 décembre 2008 à 23:07, par Didier Rykner

Merci, André, d'avoir attiré notre attention sur le discours surréaliste de Frédéric Lefebvre, qui confirme totalement ce que je disais dans mon précédent billet sur la volonté de museler Internet. Combien faudra-t-il d'accidents de velib ? Combien faudra-t-il de morts sur les routes ? Combien faudra-t-il d'enfants mordus par un pittbull pour qu'on se décide à réguler le web?

33. Le mercredi 17 décembre 2008 à 23:50, par André Gunthert

A noter également, plus de 48h après la publication du billet, l'absence de réaction des auteurs ou des producteurs du reportage en commentaire. A situer donc dans le camp de ceux qui ne perdent pas leur temps sur les blogs (sur ARHV: BHL, Joffrin, Zemmour... vs Askolovitch, Aphatie ou Schneidermann).

34. Le jeudi 18 décembre 2008 à 02:01, par alan smithee

"Quel intellectuel français a pris des positions marquantes en faveur du web 2.0? Quel journal national a porté un regard éclairé sur les réseaux sociaux? Quel ouvrage nous a expliqué la nouvelle économie que nous préparent les grands moteurs de recherche? Je compte sur mes lecteurs pour combler mes lacunes, mais il faut bien admettre qu'à toutes ces questions, la réponse ne jaillit pas spontanément."

Le Monde diplomatique a publié plusieurs articles à ce sujet de pierre lazuly, hervé le crosnier et serge halimi notamment, mais c'est surement pas eux qui occupent le devant de la scene médiatique j'en conviens. Nos intellectuels de plateau n'étant qu'une bande de réactionnaires méprisants que le mot populaire fait vomir.

35. Le jeudi 18 décembre 2008 à 12:11, par Thomas

A mon sens, le problème, c'est aussi le rapport entré médias et démocratie.
La TV s'inscrit dans un système hiérarchisé et orienté par des impératifs commerciaux, politiques, de controle du discours, pas de pédagogie et d'éducation, piliers de la démocratie.
Le but est d'illustrer les préjugés pensés par quelques uns comme les plus répandus et de cibler une classe d'âge identifiée : les parents. Mais si en plus on peut récupérer quelques jeunes émigrés sur les espaces où ils peuvent s'exprimer... Alors un sujet sur Facebook s'impose. Mais quelle impact dans les foyers ? Combien de conflits sur l'usage des réseaux sociaux, des systèmes de messagerie, du web. Le producteur, le réalisateur, le journaliste, le monteur, pensent-ils à cela ? La question de la responsabilité se pose d'autant plus avec la somme des conversations générée par cette émission. L'accès aux discussions et à l'expression (et leur volume surtout) a généré un questionnement chez ceux qui ont fabriqué/diffusé le film. La proposition du Monsieur Internet de France Télévision de faire une émission de contre reportage proposant un regard plus équilibré montre comment internet peut faire pression sur la télévision. Comment l'expression peut faire contrepoids aux choix commandés des grands médias.
On est là au coeur de la différence entre internet et les médias.
Internet pense et structure des espaces d'expression politique, culturelle, personnelle, pour tous ceux qui y ont accès. Alors que les grands médias sont "mis pour" l'opinion publique et que leur fonction principale est de contrôler et d'organiser l'opinion. Que les grands médias persistent dans cette logique hiérarchisée et centralisée et ils signent à la fois leur fin et l'accélération de la migration des plus jeunes vers les nouveaux territoires.
Mais à l'inverse, en signant des reportages aussi biaisé, France 2 entraine une polarisation du débat entre pro et anti FB, ce qui bien que cela nourrisse le débat, n'ajoute rien à la compréhension du phénomène des bases de données personnelles auto générées.
Plus haut dans les commentaires, Tisane rappelle que FB est une organisation centralisé, hiérarchisée en fonction d'impératifs commerciaux (comme France 2), voir politiques s'il le faut (Patriot Act) alors que les moyens techniques existent pour construire un équivalent open source, décentralisé, ou chacun aurait la main sur ses données.
A trop défendre Facebook, on en oublie sa ressemblance avec certaines des logiques qui président à la réalisation d'un tel reportage.

Thomas

36. Le jeudi 18 décembre 2008 à 13:20, par Cobab

L'idée de Tisane (comm. 17 et 18) d'un FB-like décentralisé sur le modène du P2P me semble très intéressante. Peut-être pas tant du point de vue des données personnelles (car une fois publiées rien n'empêche de les collecter, et l'hébergement chez soi n'y change rien), que du point de vue de la confidentialité des échanges, de la possibilité de groupes plus ou moins fermés ou ouverts, etc.

Du point de vue technique en effet tout est à portée de mains, et l'infrastructure se borne à l'hébergement de quelques trackers, rien de bien lourd donc. Le seul souci pourrait être l'obligation d'un ordi allumé et connecté en permanence, et encore.

Même la nécessité d'atteindre unen "taille critique" en nombre d'utilisateurs peut êtree contournée par la formation dans un premier temps de groupes restreints par exemple.

37. Le vendredi 19 décembre 2008 à 18:37, par Ripley

@André Gunthert - 9 : "Ce n'est pas en répétant les arguments du reportage que vous leur donnerez plus de poids. Si vous êtes inquiet à propos des "quantités phénoménales de données personnelles et privées que personne d'autre n'avait jusque-là", un conseil: renoncez à Google, qui conserve dans des datacenters bien plus gros que ceux de Facebook la trace de la moindre de vos requêtes, et qui compte bien en faire usage."

Non a priori, Google ne peut relier les requêtes qu'avec les adresses IP (comme n'importe quel site sur la toile). Seuls les FAI peuvent dire à qui telle IP tel jour à telle heure a été attribuée. Autrement dit, vu de Google, les données sont anonymes. Et si on prend soin de refuser les cookies Google, il n'est même pas possible de relier ensembles des requêtes effectuées lors de sessions de navigation différentes.

Ça fait une grosse différence avec facebook.

De plus la grosse originalité de facebook (et autres), c'est précisément la centralisation des données personnelles. Les gens n'ont pas attendu les réseaux sociaux pour fréquenter les sites/forums d'échanges/listes de diffusions traitant de leur centres d'intérêt. Mais tout restait cloisonné, si bien qu'il y avait peu de chances que des membres de la communauté X sache que vous fréquentiez aussi la communauté Y sans que vous le décidiez très activement (et même si vous le faisiez, l'emploi massif de pseudonymes dans ces communautés vous protégeait encore).

Sans compter que les sites communautaires sont souvent gérés par des passionnés bénévoles voire des associations, pas par des professionnels à la recherche d'un "business model"... on ne peut pas évacuer la question des mains dans lesquelles sont mises vos données au simple prétexte que ça fait "théorie du complot".

Vous ne laisseriez pas un cafetier enregistrer vos conversations sans savoir au préalable comment il compte les exploiter, même et surtout si en échange il vous laissait consommer gratuitement. Or ici c'est pareil, la seule différence c'est que c'est par écran interposé.

38. Le vendredi 19 décembre 2008 à 19:06, par André Gunthert

Bon, c'est toujours un peu idiot de s'infliger des leçons de web... Disons simplement que, là comme ailleurs, il peut y avoir des avis divergents. Il n'y a aucune différence entre les données réunies par Google autour d'une identité numérique (caractérisée par exemple par un compte G-mail, l'usage d'Analytics, Picasa, Google Chat, Youtube, Chrome, etc.) et les déclarations sur Facebook, qui ne sont pas plus contrôlées que les autres. Il suffirait d'une investigation judiciaire pour voir mobiliser d'un côté ou de l'autre ces données à des fins d'enquête, et il n'est pas certain que Facebook fournirait les informations les plus détaillées.

Mais cette discussion est en réalité inutile. Personnellement, j'ai beaucoup plus peur de la police que de Facebook (et je pourrais faire le même film que Jérémie Drieu sur "Planète Flics"). Autrement dit, à chacun ses obsessions - et je n'ai pas plus de compréhension pour ceux qui ont décidé que les profils FB étaient le danger majeur des sociétés modernes qu'eux pour mes propres fantasmes.

Pour moi, l'essentiel, comme je tente de l'expliquer, est un problème de culture. Il y a encore aujourd'hui des gens pour qui la BD est au mieux un loisir inutile, au pire une école du vice, de la paresse et du mauvais goût. Et d'autres pour lesquels il s'agit d'une forme culturelle riche et diverse, sans laquelle la vie serait plus triste. Je vous laisse deviner dans quelle catégorie je me range.

39. Le samedi 20 décembre 2008 à 13:04, par Ripley

« Bon, c'est toujours un peu idiot de s'infliger des leçons de web... »

Tout comme il est léger de fustiger les amalgames des journalistes de télévision pour ensuite sous-entendre, bien involontairement sûrement, que faire une requête dans Google et s'inscrire sur facebook sont à mettre au même plan.

« Pour moi, l'essentiel, comme je tente de l'expliquer, est un problème de culture. »

C'est bien pour cela qu'il convient d'être précis. Ce qui me dérange particulièrement avec facebook (et *autres*, encore une fois), c'est qu'ils sont devenus des phénomènes massifs parce qu'ils ont réussi à capter des gens qui majoritairement ne sont pas ou peu familiarisés avec le fonctionnement du web.

C'est aussi pour cela que j'ai fait l'analogie avec le cafetier enregistreur de conversations, pour montrer que, selon le contexte, on n'a pas toujours une perception exacte de ce qui se fait.

Si vous en voulez une autre plus éclairante, il est assez connu que l'île de Manhattan a été achetée pour 2$. Non parce que les autochtones étaient des crétins décérébrés, mais simplement parce qu'ils n'avaient pas de connaissance suffisante du contexte dans lequel ils s'impliquaient. Or je crois que beaucoup des utilisateurs des réseaux sociaux type facebook ne réalisent pas non plus ce qu'ils sont réellement en train de contracter.

« Mais cette discussion est en réalité inutile. Personnellement, j'ai beaucoup plus peur de la police que de Facebook (et je pourrais faire le même film que Jérémie Drieu sur "Planète Flics"). »

Lors de la polémique autour d'EDVIGE, on a pourtant entendu un argument très proche du vôtre concernant les données privées : "c'est pas grave, de toutes manières ils font déjà des bases de données", ou comment éluder facilement une question fondamentale et légitime.

À titre personnel, je ne fais pas plus confiance aux multinationales qu'aux états.

« Autrement dit, à chacun ses obsessions - et je n'ai pas plus de compréhension pour ceux qui ont décidé que les profils FB étaient le danger majeur des sociétés modernes qu'eux pour mes propres fantasmes. »

Tout ce que je dis c'est que ça n'apporte rien de véritablement neuf sous la Toile, si ce n'est que :

1) désormais tout est centralisé dans de grands hypermarchés virtuels de la rencontre en ligne ;
2) de grosses boîtes vont pouvoir (et même *devoir*, pour financer ces structures) se faire beaucoup d'argent (youpi ! );
3) les utilisateurs vont payer le service en vendant leur intimité, ce dont ils n'ont pas toujours conscience.

À part ça, chacun est grand (enfin, plus ou moins hélas) et fait comme il veut, c'est entendu.

J'ajoute, pour finir et être tout à fait clair sur la position que je tente d'exprimer, que je n'aurais vraiment rien à redire (en particulier sur ces ridicules histoires de nazis drogués pédophiles) si ce genre de structures proposait un système d'anonymisation et de cloisonnement digne de ce nom (mais ça casserait toute source de business, CQFD).

40. Le lundi 5 janvier 2009 à 22:38, par Stephanie Booth

bohwaz dit:

"Quand au fond du problème : Facebook est évidemment dangereux, car son public est jeune, souvent mineur, et n'hésite pas une seule seconde à laisser son véritable nom, adresse, numéro de téléphone etc. dessus, sans la moindre réflexion. Alors que justement les réseaux sociaux classiques (netlog, skyrock, myspace, msn, etc.) se battent depuis des années pour protéger les mineurs, à avoir justement une attitude pédagogique à dire "fait gaffe à rien dire sur toi de trop personnel, tout ça c'est public tout le monde peut le voir, soit un peu attentif, on vis pas chez les bisounours", facebook débarque d'un coup, avec ses grands sabots en disant "vas-y met ton vrai nom[1], ton adresse, etc. et après si t'y pense va dans les options machin qui sont cachées dans l'onglet truc si tu veux pas le montrer". Par défaut facebook est *trop* public et détruit des années de travail de sensibilisation, c'est ça qui est dangereux."

Sans rentrer dans tous les détails (voir climbtothestars.org/archi... climbtothestars.org/archi... et climbtothestars.org/archi... si le sujet vous intéresse) donner des informations personnelles semble bien ne pas être corrélé aux "agressions" de mineurs initiées sur internet.

Le schéma que tu dépeins est précisément celui que les chercheurs que je cite dans les articles ci-dessus cherchent à démonter, car c'est un cliché faux et dommageable: on cherche à prévenir un faux danger, et on néglige le vrai.

Sur facebook, les personnes sont connues puisque le réseau impose (avec plus ou moins de bonheur) l'utilisation de la véritable identité. Il est conçu pour garder le contact avec les gens qu'on connaît (même si l'utilisation va au-delà). Penser qu'un environnement anonyme protège mieux les jeunes, c'est se mettre le doigt dans l'oeil jusqu'au coude, comme on dit par chez nous.

41. Le samedi 7 février 2009 à 15:05, par Fati.m.a

Peut-être ce commenatire est un peu tardif mais, après une lecture attentive de tous les commentaires de ce billet, je suis étonnée qu'aucun mentionne le rôle du web comme une loupe qui rend visible les problèmes sociaux. Au lieu de critiquer et de diaboliser un média, il faut trouver un moyen de sensibiliser son audience à son efficacité.Ce qui m'a frappé le plus dans ce reportage c'était: photo+réseau social= danger,risque,visibilité.

Ajouter un commentaire

Les commentaires pour ce billet sont fermés.

Pourquoi la télé diabolise Facebook   Par André Gunthert, lundi 15 décembre 2008 à 22:22 (29019 vues, permalink, rss co ) :: Médias «Ne pas s'inscrire sur ces sites de réseaux sociaux.» Tel était le conseil conclusif après le reportage diffusé par France 2, le 4 décembre 2008, dans l'émission Envoyé ...»See Ya